Mes mains
Je suis née avec des doigts et des orteils différents, en raison de la malformation des brides amniotiques.
Certains dans vous m’ont déjà rencontrée, ou peut-être avez-vous vu les peintures de mes mains et leur forme inhabituelle; j’ai pensé qu’il était temps de leur donner une vraie introduction !
La malformation des brides amniotiques est un phénomène rare qui se produit pendant les premières semaines de la grossesse, où des brides se développent dans le liquide amniotique (nous ne savons pas comment et ne savons pas pourquoi; ce n’est pas héréditaire). Au fur et à mesure que le fœtus se développe, les brides peuvent faire obstacle, s’enveloppant autour des membres en développement et empêchant leur croissance.
Dans mon cas, les brides se sont enroulées autour de mes doigts et orteils, les contraignant à des formes courtes et inhabituelles. C’était une surprise à la naissance, car cela n’avait pas été détecté pendant les échographies, et pour les médecins, c’était la première fois qu’ils rencontraient cette malformation.
J’ai été envoyée dans une clinique spécialisée à Paris où un chirurgien a suivi mon cas de quelques semaines à mes 17 ans.
Certaines chirurgies étaient urgentes (relâcher les dernières brides pour que le sang circule suffisamment), certaines étaient fonctionnelles (appelées syndactylies, elles ont séparé mes doigts pour me donner une plus ample envergure; ainsi qu’une greffe d’orteil à 2 ans pour compenser un pouce manquant), mais certaines chirurgies étaient malheureusement plus pour des décisions esthétiques (la vision de quelqu’un d’autre sur la façon dont ce à quoi mes mains devraient ressembler).
Si la plupart des chirurgies m’aidaient fonctionnellement, chacune d’elles était difficile. Les séjours hospitaliers effrayants, la cicatrisation douloureuse, les séances kiné... Et au delà, le plus difficile était de trouver mes mains changées (défigurées) tous les deux ans, ayant à les réapprendre, visuellement et aussi sur un niveau sensoriel, car les sensations nerveuses se voyaient déplacées.
J’étais une enfant joyeuse et très courageuse (les enfants sont plein de resources), mais j’ai aussi appris à minimiser mes difficultés et à les ravaler, et un inconsciemment l’idée que quelque chose n’allait pas avec moi ; que je devais être changée, me conformer. Une partie de mois pensaient que mes mains étaient monstrueuses. Tout cela a refait surface au cours des dernières années (la thérapie et mes amitiés sont d’une grande aide ! ).
La peinture a joué un grand rôle dans tous ces sentiments qui reviennent à la surface. Au début, j’utilisais simplement mes mains et mes pieds comme des sujets à observer.
Puis j’ai réalisé qu’ils détenaient aussi une grande partie de mon identité, alors j’ai commencé à les introduire nerveusement dans les peintures (une première fois avec ces deux autoportraits ci-dessus, peints en 2018).
C’est un défi en deux étapes : les peindre et partager les peintures. Mais c’est important pour moi, alors je continue.
Et il y a cette chose bizarre, de ne pas pouvoir m’utiliser comme référence d’une manière directe : je dois décider si oui ou non je donne cette référence des doigts ou orteils, si c’est un autoportrait ou si je prétends en faire une parfaite inconnue. Je n’aime pas cette partie de mon processus.
Et il y a cet autre sentiment étrange (ceci est un euphémisme) de ne pas se souvenir des étapes que mes mains ont traversées. Alors je regarde mes photos d’enfance et je les peins, espérant réassembler le puzzle.
Mais cela ne semble jamais être suffisant, ces trous dans ma mémoire me peinent. En puis même so je me souvenais, il y a le fait que je ne pourrais jamais partager ces souvenirs avec personne. Certaines parties de moi sont parties pour toujours. C’est dans cet esprit que j’ai essayé en janvier de retracer les différentes étapes que ma main droite a traversées, à la gouache. Vous pouvez voir la tentative juste en dessous, avec à gauche ma main telle qu’elle est maintenant, et vers la droite ma tentative de remonter le fil du temps et des souvenirs.
Je ne vais pas mettre trop de mots sur ce tableau car il est encore trop frais, mais je peux imaginer que ce n’est que le début de toute une exploration pour moi. J’aimerais pouvoir exprimer dans la peinture ce que mes mains ressentaient et ressentent, mon expérience de l’hôpital… à suivre!
Ce que je viens d’écrire est un peu lourd. Mais il y a aussi beaucoup de joie liée à cette partie de moi : je suis absolument fascinée par les mains « normales » et j’adore les peindre.
Parce que c’est si mystérieux pour moi, et je ne peux pas comprendre l’expérience d’incarner de longs doigts, j’aime les regarder comme une forme abstraite, pleine de mouvement et d’expression. (Je ne pourrais jamais assez souligner combien je suis reconnaissant pour les modèles vivants, pour nous offrir ces précieux moments d’observations, que nous nous concentrions sur l’universel ou l’unique).
Qu’il s’agisse de peindre à partir de la vie ou de partir de mon imagination, j’ai l’impression d’essayer de résoudre un puzzle complexe lorsque je peins des mains ; et si j’arrive à le faire, c’est magique.
J’espère que tout cela vous donnera aussi un meilleur aperçu de ma pratique de modèle vivant. J’ai commencé ce métier il y a quatre ans, et l’une des principales raisons était de contrecarrer ma première croyance selon laquelle je ne devrais pas imposer ma différence aux autres. Mon cerveau savait en toute logique que je ne faisais rien de mal en modelant, mais je devais lutter contre mes peurs et croyances. Il y a eu quelques séances difficiles, mais pour mois c’est important alors je continue. Je le fais pour moi-même et pour permettre plus de diversité dans les groupes de dessin, ce qui manque encore cruellement.
J’ai écrit sur mon expérience comme un modèle vivant il dans un bulletin précédent, cliquez ici si vous souhaitez en savoir plus.
Et l’année dernière, je me suis encouragée à aller encore plus loin dans ma relation avec mes mains et dans ma croyance qu’il y a quelque chose de mal avec leur apparence : grâce à au tatouage ! J’avais travaillé avec David Kodak (Mono) sur un projet de torse l’année précédente et je suis tombée amoureuse de son processus. Il traite le corps comme une toile, la séance est remplie de conversations merveilleuses tandis qu’il recherche le flow et les formes, celles préexistantes du corps et celles qu’il crée. Lui demander de travailler sur mes mains a été très émouvant et je suis si heureuse de la chaleur qu’il m’a fait sentir tout au long du processus. Pour une fois j’ai eu quelque chose de fait à mes mains qui célébrait leurs formes et n’essayait pas de les changer.
Alors voilà, quelques mots pour essayer de partager avec vous cette facette très importante de moi-même. Celle qui a soulevé des défis et qui le fait encore parfois, tout en me remplissant de gratitude pour tout ce que j’en retire : débrouillardise, résilience, un peu d’empathie et, je l’espère, une bonne dose d’humour!
J’aime mes mains -en m’autorisant que cet amour englobe et accepte de grandes complexités et contradictions. Ce qui je pense, est une façon très vraie d’aimer.
Merci du fond de mon cœur si vous avez lu ceci ♥