Un hiver au Pays de Galles
Ci-contre, le dernier petit tableau que j’ai partagé, en décembre, avant de faire une pause de quelques mois sur les réseaux sociaux. Cet hiver a encore été un hiver difficile ; même si ma santé mentale s’est considérablement améliorée, je me sens assez épuisée depuis quelques années (29?) et j’avais tant besoin d’un hiver lent, dans la campagne, pour me reposer et me ressourcer. Cela ne s'est pas passé comme prévu. Heureusement, au-delà de ces difficultés, j’ai aussi pu trouver de chaleur, de la part des gens que j'ai rencontrés, des choses que j'ai dessinées, dans la façon dont j'ai appris à prendre soin de moi.
Un début d’année compliqué
En octobre dernier, j'étais tombée amoureuse du Pays de Galles alors que je le visitais pour la première fois. J'en adore ses routes sinueuses, les pubs chauffés par des cheminées et des poêles, entendre les gens discuter de leurs randonnées et de leurs joies en plein air, la chaleur que je pouvais ressentir à chaque rencontre. Je suis retournée à Londres puis en France pour la fin 2023, mais j'avais déjà hâte de revenir, surtout après un Noël tendu.
Depuis un an et demi, j'utilise des plateformes comme Wwoofing ou Workaways : je vais quelque part (généralement une ferme) où je donne environ 20 h/semaine de mon temps en échange d’un hébergement, de nourriture et d'opportunitésd d’apprendre. C’est un système qui peut être merveilleux lorsqu’il s’accompagne d’un véritable échange et d’une volonté de créer en dehors du capitalisme pour trouver d’autres moyens d’interagir.
Malheureusement, la ferme dans laquelle je devais passer l’hiver était bien différente de ce qu’elle promettait. Un exemple pour bien l'illustrer : pour me loger, on m'a donné une yourte. J'aurais adoré y vivre, mais celle-ci se révélait pleine de fuites, rendant le poêle inutilisable, le tout empirant jusqu’à s'effondrer trois jours plus tard sous la tempête, sans que mes hôtes ne soient joignables. Je le mentionne car cela illustre assez bien la précarité de ma situation ; ces échanges reposent sur la confiance et la transparence, malheureusement ce qui est parfait sur le papier peut s'avérer très différent dans la vie réelle et certains hébergeurs semblent utiliser ces plateformes pour accéder à de la main d'œuvre gratuite, ce que l'on ne peut découvrir qu'une fois sur place. Et avoir un plan B n’est pas forcément possible, surtout en hiver où les options sont minces. J'ai dû rester sur place pendant 1,5 mois jusqu'à ce qu’un nouveau lieu se présente.
Des bénévoles en or !
Heureusement, au quotidien, ma vie là-bas été égayée par les autres bénévoles sur place. Ra et Mikaere de Nouvelle-Zélande ont accepté de partager leur mobilehome avec moi après le désastre de la yourte, ce qui a donné lieu à de belles conversations, soirées à rires, à assembler des puzzles et Ra m'a même appris à faire du crochet. Je suis tellement reconnaissante pour ces deux-là.
J'ai eu du mal à peindre régulièrement (manque de temps, manque d'espace et impossibilité de me sentir suffisamment détendue) mais j'ai apprécié remplir mes deux nouveaux carnets de croquis, un A4 et un A3. Depuis la pandémie, j’avais perdu l’habitude d’utiliser des carnets. Mais je suis tellement contente de reprendre cette belle habitude ; je me sens désormais capable de peindre, que ce soit à la gouache ou à l’huile, avec la même spontanéité et le même enthousiasme que j’avais lorsque j’utilisais des crayons pour dessiner.
Modèle vivant
J'ai aussi rencontré des gens formidables dans les alentours, notamment grâce à un groupe de dessin d'après modèle vivant qui se réunissait tous les mercredis après-midi pour trois heures. Je suis vraiment touchée par ces activités humaines qui nous rassemblent sans effort ; peu importe que je ne sois pas originaire de la région ou ma timidité du moment, ces sessions sont un si beau moyen de connecter. J'ai réussi à me rendre à trois séances pour peindre ; et j’ai posé pour deux autres.
Wetland, oil on linen A5 £250
Paysages
Ce qui a également compensé ces premiers mois difficiles, ce sont les paysages incroyables qui m’entouraient. Beaucoup d’entre eux, je n'ai pas encore osé peindre - la nature semble toujours faire les choses si parfaitement, c’est intimidant !
J'espère que je retournerai dans le nord du Pays de Galles, à Anglesey et dans le parc national d'Eryri (Snowdonia) pour faire les randonnées et les peintures que je n'ai pas réussi à faire cette fois-ci.
Conwy, oil on linen A5 format, £300
Mes mains, peindre mes souvenirs
Je suis née avec une différence affectant mes doigts et mes orteils, ce qui m'a amené à subir dix interventions chirurgicales entre l'âge de 5 mois et mon 17ème anniversaire. Être né différente n’a jamais été en soi le problème, j’en suis même très heureuse (je n'ai jamais eu besoin de réfléchir pour avoir la connaissance intime que chacun est magnifique dans ce qui le rend unique). La difficulté vient de la manière dont cette différence a été recue: j'ai dû faire face à de nombreuses expériences traumatisantes et je suis toujours en train d’en démêler ma peine.
L'un des aspects étaient les opérations chirurgicales, dont je garde encore des souvenirs si vifs que j'en leurs réminiscences sont totales : sensations, images, odeurs, sons et surtout les sentiments de terreur et de solitude. Cette solitude est à la fois contenue dans ces opérations même (être si jeune sans personne pour m’aider dans ma détresse émotionnelle, des pièces remplies d'adultes que je ne connais pas occupés à faire des choses à mon corps comme si je n'y étais pas attachée) mais il y a aussi une forme aiguë de solitude venant du fait que je n'ai jamais eu l'occasion de parler de ces moments a posteriori, de les sortir de moi-même et de les partager avec une personne aimante ou un professionnel de la santé mentale. Il n'y a pas non plus d'images, pas d'objets aux quels rattacher ces souvenirs. Ils flashent en moi, douloureusement coincés là.
Ces peintures sont une tentative de me saisir de ces souvenirs. Quand je m’imaginais les peindre il y a quelques mois, cela me semblait émotionnellement impossible ; pour autant en les peignant en février j’y ai trouvé la joie que je trouve à peindre en général, le challenge technique mettant de côté le traumatisme le temps de le peindre. Les montrer à mon frère était très émouvant et “connectant” ; les partager en ligne me terrorisait mais me semblait aussi aussi si important, c’est en sanglots que je les publiais. Vos réactions ont été incroyablement encourageantes et maintenant je les partage à nouveau ici, et même si mon ventre et ma poitrine sont contractées, l'émotion est beaucoup plus gérable que lors du premier partage. L’art est transformatif.
Il y a quelques semaines, j’écrivais ceci et je suis heureuse de voir que cela semble fonctionner : « Je veux essayer ce que je peux (peindre) pour faire quelque chose contre cette douleur coincée en moi. Il ne sera jamais possible de partager de manière satisfaisante ce qu’il y a en moi avec qui que ce soit, ni les souvenirs ni leur impact actuel ; mais ma chance est que je peux essayer de les peindre, en espérant qu'à chaque fois que je les sors de moi et les places dans le monde, j'ai un peu moins à porter. »
Changement de plans : l’Ouest gallois
Fin février, j'ai enfin pu partir vers de nouvelles opportunités, cette fois dans l'ouest du Pays de Galles. En conduisant vers le sud, j'ai trouvé beaucoup de joie à reconnaître les routes que j'avais empruntées pour la première fois en octobre. Dans cette vie incessamment changeante, tout ce qui est un peu familier devient très précieux.
J'ai passé une semaine à faire du bénévolat dans une belle éco-communauté autonome composée d'un groupe de personnes très inspirantes et généreuses. J'avais envie d'endroits comme celui-ci et c'est très spécial de les trouver enfin, ce qui donne de l'espoir à mon cœur.
L’importance d’un atelier
Si j’avais décidé de prendre cette direction, c’est pour y louer un atelier d’artiste qui s’y libérait, près de Cardigan. Après le difficultés des mois précédents et après avoir vu son impact sur ma pratique, j'ai senti très fortement qu'un tel espace était ce dont j'avais besoin. C’est dans une belle grange qui a été aménagée pour accueillir quatre artistes, et je suis très heureuse d’en faire partie.
À bien des égards, je peux faire des compromis sur mon confort personnel comme c’est le cas en ce moment, mais mes peintures, en particulier celles qui sont encore à naître, me semblent trop importantes pour que je les néglige - l'espace dont je dispose dans l’atelier est assez petit. mais au moins je peux accrocher mes tableaux, travailler sur plusieurs à la fois et laisser ma pratique être aussi libérée que possible des contraintes d'espace (quand je peins dans la camionnette, je dois les laisser sécher sur mon lit la journée, les déplacer chaque nuit pour dormir - c'est faisable mais ce n'est pas idéal !).
Je suis tellement heureuse de pouvoir transformer les peintures et croquis en petits formats des dernières semaines en tableaux plus grands et plus développés.
Se poser quelques temps
L'ouest du Pays de Galles (à la frontière entre le Pembrokeshire et le Ceredigion) est l'endroit où je m'installe pour l'instant car j'ai soif d'un peu de stabilité, dans l'espoir que ma pratique de la peinture puisse s'épanouir et que moi aussi je puisse me sentir aussi ancrée que possible. .
J’ai été tellement touchée par l’accueil des gens ici, une qualité de connexion avec les uns et les autres ainsi que la terre qui semble très spéciale ici.
J'espère donc pour les mois à venir : peindre le plus souvent possible dans ce nouveau studio, développer de nouvelles œuvres, vivre dans une communauté avec la camionnette en échange d'un peu de travail de la terre et, espérons-le, des solutions financières pour pouvoir continuer tout cela.